J’étais assise à mon bureau lorsqu’il se mit à pleuvoir. Les gouttes s’abattirent par trombes, frappant les carreaux du Bay Mirror… J’aimais bien la pluie. Mais uniquement lorsque je me trouvais bien au chaud, lovée dans un fauteuil, une couverture sur les genoux, une tisane à la main. J’enfilais généralement de grandes chaussettes de coton blanc, relevais mes cheveux en un chignon désordonné et passais sur mes frêles épaules, une chemise trop grande pour moi, qu’un de mes amants avaient oubliés chez moi. Mais voilà ; je n’étais pas chez moi. Et Délia souhaitait voir sur son bureau mon article au sujet de Cassandra Dubois, avant midi. Il ne me restait plus que vingt minutes et je n’avais pas encore fini. Ce mannequin français, au caractère de feu, m’avait fait de jolies révélations deux jours plutôt, et cela avait tout simplement enchanté Mademoiselle Stewart. Néanmoins le bruit de la pluie m’avait tiré de mon travail, et je n’arrivais pas à me concentrer de nouveau. Cela me plaisait, papillonner un moment, admirer les gouttes d’eau dévaler la vitre, faire la course, se doubler, accélérer pour enfin se réunir en une seule et même perle sur le cadran de la fenêtre. La pluie me rappelait les larmes, à la différence qu’elle n’était pas salée. Lorsque j’étais petite, j’attendais à la fenêtre dans l’espoir de voir apparaître un arc-en-ciel. C’était une chose si belle… En fait, c’était un peu comme les couchers de soleil ; je ne m’en étais jamais lassé et ce, malgré les siècles. Tout cela me laissait un brun nostalgique…

Il ne me restait désormais plus que dix minutes. Mes doigts pianotèrent sur le clavier une conclusion hâtive. J’enregistrais, puis imprimais l’épreuve. Finis ! J’allais pouvoir sortir déjeuner. J’attrapais mon sac à main, enfilais mon trench coat et déposais l’article sur le bureau de la patronne.

« Délia je file… Je reviens dans une heure. »

Pas de réponse. Sans doute était-elle au téléphone. Je sortis mon parapluie noir et couru rejoindre le café le plus proche. Déjà je poussais la lourde porte…

« Bonjour Mademoiselle Monroe ! »

A vrai dire j’étais une habituée du coin. Et j’aimais tour particulièrement cette petite sensation rassurante que provoquait la routine. J’avais assez de ma double vie, ou du moins de mes sorties nocturnes, pour ce qui était des sensations fortes.

« Ce sera comme d’habitude… »

« Un sandwich poulet-crudités et un moka ! »

Je m’installais alors devant la grande baie vitrée. De là je pourrais admirer les allers et venus incessants de la populace, se pressant sous la pluie. Un véritable défilé de parapluie qui me divertirait plus que ces corps sans âme, penchés sur leur repas froid. Je soupirais d’ennui. Je n’avais pas envie de retourner travailler cette après-midi. Délia voulais m’envoyer prendre des photos pour la prochaine couverture et…

« Votre déjeuner Mademoiselle »

« Merci. »

Peut être aurais-je la chance d’une nouvelle rencontre inattendue, qui me donnerait l’occasion d’un nouvel article…